Médias (14, 50, 61). Comment Ouest France coupe aujourd’hui ses racines

Publié le par Le Galichon

Le Sans-Culotte 85, « mensuel indépendant d'intérêt civique » — et dont les articles ne manquent jamais d’intérêt tout court —, a publié dans son cinquième numéro daté de juin 2007, un article intitulé « Le capitaine Ouest-France presse ses correspondants de quitter le navire ! ».

Avec l’aimable autorisation de nos confrères, nous reproduisons ci-dessous l’intégralité de ce très intéressant papier. Vous y découvrirez comment, sous couvert de modernité mal comprise, le journal rennais qui a le monopole de l’info de presse écrite quotidienne sur la Basse-Normandie est en train de couper ses racines et sa raison d’être.

Voici l’article :

Mercredi 23 mai, il est 8 h. Dans un petit village du bocage vendéen, une femme s’installe devant son ordinateur. Elle profite du long protocole de démarrage de ce dernier pour feuilleter son quotidien. Elle est correspondante de presse pour ce titre et, comme chaque matin, dresse l’inventaire de ses textes parus. Elle tourne machinalement les feuilles, puis s’arrête sur la page 8 de Ouest-France. Les larmes lui montent aux yeux…

La rumeur circulait depuis quelques temps. Puis la rumeur est devenue information. Fin 2005, la direction de Ouest-France faisait de la Mayenne son département pilote pour la saisie automatique des infos services (traduisez les brèves de quelques lignes pour annoncer les événements). Autrefois rédigées par les correspondants de presse, le quotidien avait imaginé une saisie par Internet, directement par les présidents d’associations, les chargés de communication des mairies, etc.

Aujourd’hui, Ouest-France se félicite de ce système révolutionnaire, en vigueur en Vendée depuis le 29 mai. Un projet concrétisé dans la précipitation, car l’accord des syndicats n’est tombé il n’y a que deux mois. Son objectif avoué est de récolter davantage d’informations, de se rapprocher encore plus du lecteur en lui permettant de venir saisir lui-même ses informations sur le site Internet du journal. Idée intéressante pour l’organisateur d’assemblée générale ou de relais 4x100 m puisque l’info, qui sera ensuite intégrée à une base de données, sera publiée dans Ouest-France, chez ses concurrents préalablement rachetés (Vendée-Matin, Presse-Océan, Le Maine-Libre et Le Courrier de l’Ouest), sur son site maville.com… Bref, sur tous les supports médiatiques possédés par le canard de Chantepie.

Dans cette banlieue rennaise, on justifie ce choix par le développement exponentiel d’Internet, aujourd’hui installé dans un foyer sur deux. Ouest-France avance même le chiffre de 100 000 connexions mensuelles sur le site maville.com pour l’année 2005.

Mais pendant que certains arrosent ces avancées technologiques, il y en a forcément qui trinquent. Et celui qui est le mieux placé pour déguster est aussi celui qui vit sur le terrain, qui rencontre de visu les acteurs de la vie locale, qui connaît suffisamment sa commune pour toujours être au cœur de son actualité : le correspondant. Paradoxe de notre époque, pour mieux communiquer, tuons les rapports humains.

En déchargeant ses correspondants de ces petites infos pratiques et essentielles pour la vie de la commune, le journal les coupe de la base même de l’actualité. Et à ceux qui oseront dire : « On ne sera plus au fait de la plupart des événements », Big OF rétorque qu’ils n’ont qu’à aller se connecter sur le site Internet du canard pour avoir les infos. Et le correspondant qui n’a pas Internet, il découvre l’information dans les colonnes de son journal ? Non, celui-là, n’en parlons pas… Il a de fortes chances d’être contraint d’aller voir ailleurs…

Modernisme ou premier pas vers une épuration du réseau de correspondant ? Si la première solution est avouée, la seconde est bien tentante. Mais on ne va pas l’annoncer comme cela, ça ne serait pas très classe. Et puis, à Ouest-France, on ne craint pas l’exode massif des correspondants : celui qui exerce cette activité pour bouffer n’a pas le choix et s’adaptera, celui qui écrit pour se faire plaisir et passer son temps s’en fout et s’adaptera. Pour ceux qui partiront quand même, peu importe : la main d’œuvre facile et pas chère se remplace toujours. Un comble pour un journal qui s’est construit sur un important réseau de correspondants, présents dans presque toutes les communes du grand Ouest !

On peut dès lors s’interroger sur l’objectivité de l’information. On peut également se demander si Ouest-France va se limiter aux infos services et aux annonces d’événement avec photo, ou si le président d’asso ou le chargé de communication de la mairie ne pourra pas bientôt saisir ses propres comptes-rendus par ce biais. Qui empêchera une personne mal intentionnée de faire sa communication plutôt que de donner de l’info ? Une secrétaire d’agence, formée pour relire les IS ? Aura-t-elle le temps et la connaissance suffisante du terrain pour trier le vrai du faux ? Il se trouve que l’une des prochaines missions des journalistes localiers est de rencontrer les communicants de diverses structures pour leur présenter cet outil génial. Tiens donc !

Autre inconvénient de cette ouverture de la copie au grand public : les informations qui ont déjà été saisies l’ont été par des personnes non formées aux subtilités rédactionnelles. Dans ces brèves copies fleurissent des « venez nombreux », « on vous attend » ou des oublis d’informations essentielles (dates, horaires, lieux de la manifestation…). Et dire que les secrétaires d’édition (journalistes chargés de relire la copie des correspondants, Ndlr) se plaignent parfois de la médiocrité des copies de corres’ !

Mais de quoi se plaignent-ils ces correspondants ? Dans sa grande générosité, Ouest-France annonce qu’une prime leur sera versée en fin d’année, calculée par rapport au nombre d’infos services qu’ils auront envoyées en 2006. Plutôt sympa ! On ne soupçonnera en aucun cas un lien avec une affaire qui a conduit le journal devant le tribunal des Prud’hommes, suite à la contestation d’une correspondante nantaise outrée de voir ses articles de justice (peu payés) repris sans son accord sur le site Internet du journal. Celle-ci réclamait un poste, mais l’entretien finalement obtenu n’aura pas débouché. Et pour éviter toute mauvaise surprise, l’ogre breton a décidé de verser de l’argent à ses correspondants pour la reprise de leurs textes sur la toile. Mais pas une prime, juste une « gratification ». Et pas pour chaque passage, mais sur l’ensemble de l’année.

Pour faire passer la pilule, trois réunions ont eu lieu sur la Vendée. Afin de présenter aux corres’ la saisie informatisée des IS, ou plutôt pour mettre en lumière ses avantages... Résultat des courses : la quasi-totalité des correspondants est ressortie le sourire aux lèvres de ces thérapies de groupe. Encore plus fort : des piles de tracts leur ont été distribuées, afin qu’ils transmettent eux-mêmes la nouvelle aux acteurs locaux, toujours avec le sourire. Se salir les mains, ça fait mauvais genre. Alors on demande aux corres’ de scier eux-mêmes la branche sur laquelle ils sont assis !

© Le Sans-Culotte 85, édition papier et version électronique

Publié dans Médias

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
F
Bonjour<br /> Ouest-France n'a pas le monopole presse écrite en BN, il y a La Manche Libre, 75 000 exemplaires hebdo, 1er hebdo régional de France. Et indépendant de surcroît.<br /> cordialement<br />  
Répondre
L
Vous avez parfaitement raison. Citant le "quotidien rennais", nous songions uniquement à la presse écrite quotidienne. Merci de votre contribution qui nous permet de corriger le texte par "Le journal rennais qui a le monopole de la presse écrite quotidienne sur la Basse-Normandie" (remplaçant : "le quotidien rennais qui a le monopole de l’info de presse écrite...").